L'anesthésie locale


Qui n'a jamais eu une peur bleue en voyant le dentiste penché au-dessus de nous pour nous planter une seringue dans la bouche?
 Il est vrai que les douleurs dentaires sont très douloureuses et imaginer une seringue plantée dans notre zone douloureuse est logiquement effrayant.  

 Heureusement, de nos jours, l'utilisation d'anesthésiques locaux permet d'inhiber totalement ces douleurs. Sans danger, ils sont de plus en plus utilisés par les chirurgiens dentistes pour tous types d'opérations, soulageant grandement les patients et facilitant le travail des dentistes qui peuvent réaliser leurs opérations sans crainte d'infliger de terribles souffrances.


 L’anesthésie locale est une technique fréquemment utilisée lors d’opérations chirurgicales peu complexes. Elle agit au niveau des ganglions nerveux sensitifs, sur les terminaisons nerveuses des nerfs sensitifs (définis dans l'article sur le message nerveux) Elle permet de faire disparaitre la sensation de douleur dans une partie du corps sans pour autant placer le patient en état de narcose. Cela nécessite donc beaucoup moins d’actions car les organes vitaux du patient continuent à fonctionner normalement.

Dans cet article, nous allons expliquer pourquoi un anesthésiant local supprime totalement la douleur tout en laissant au patient (totalement ou en partie) sa motricité et sa sensibilité tactile. Puis nous présenterons les caractéristiques de différents anesthésiants.  Ensuite, nous détaillerons le fonctionnement d’un anesthésiant dans le cas le plus connu et le plus fréquent : lors d’une intervention dentaire.

 

I)  Les différentes fibres nerveuses :

Lorsque l’on applique un anesthésiant sur une zone, plusieurs fibres nerveuses sont touchées. Mais alors comment se fait-il que seule la sensibilité douloureuse soit inhibée ?

Il existe différents types de fibres nerveuses correspondant à différentes fonctions. Les principales sont :

  • Les fibres Aα responsables de la motricité et de la proprioception (perception de son propre corps) 
  • Les fibres Aβ responsables de la sensibilité tactile et vibratoire
  • Les fibres Aγ responsables du tonus musculaire 
  • Les fibres Aδ responsables de la sensibilité douloureuse 
  • Les fibres C et D responsables de la sensibilité douloureuse et thermique.
Ces fibres se différencient notamment par leur taille, leur myélinisation et leur vitesse de conduction qui sont liées : plus la fibre a un diamètre important, plus elle est myélinisée et plus sa vitesse de conduction est élevée.
 
Les cibles des anesthésiques sont les canaux ioniques présents au niveau des neurones. Leur accessibilité par les anesthésiques varient selon le type de fibres.  Il a été constaté, même si aucune expérience n’a pu le prouver totalement, que la myélinisation des fibres explique l’inhibition de la douleur seulement.Plus les fibres sont myélinisées, moins l'anesthésiant parvient à venir se fixer sur le canal ionique.


En effet, les fibres Aα et Aβ sont de grosses fibres (10 à 20 µm) donc très myélinisées : elles sont peu sensibles aux anesthésiants locaux. Par contre, les fibres Aγ, 4 à 5 fois moins larges (3 à 6 µm), ont peu de myéline et elles sont assez sensibles aux anesthésiants locaux. Enfin, les fibres Aδ, C et D sont de très petites fibres (≤1 µm), ayant très peu de myéline voire pas du tout et qui sont donc extrêmement sensibles aux anesthésiants locaux. C’est pourquoi, lors d’une anesthésie locale, des doses faibles d’anesthésiques sont injectées afin que la zone visée ne perde pas totalement sa motricité : on se sent engourdi, faible car le tonus musculaire est réduit et c’est surtout notre sensation de douleur et de chaleur qui disparait totalement.

II)  Les différents types d’anesthésiques locaux :




Il existe 2 grandes familles d’anesthésiques locaux ayant des structures similaires :
  • Les amino-esters 

   

Ce sont les premiers anesthésiants qui furent utilisés. Ils sont aujourd’hui très rarement utilisés car la liaison ester très instable est très rapidement hydrolysée dans l’organisme par des enzymes, les pseudocholinestérases, créant un métabolite, l’acide para-aminobenzique qui est responsable de réactions allergiques pouvant devenir très dangereuses pour le patient. Les principaux anesthésiques amino-esters sont la cocaïne(durée d’action courte mais provoquant une dépendance importante), la procaïne ( durée d’action courte, rapidement éliminée par l’organisme) et la tétracaïne (durée d’action plus longue).
 
  •     Les amino-amides 
 
 
  








Ils sont plus stables et ne provoquent pas de réactions allergiques (sauf cas exceptionnels) et ne sont toxiques que à très forte dose. Les plus fréquents sont la lidocaïne, la prilocaïne, la mépivacaïne (durée d’action moyenne), la ropivacaïne, la bupivacaïne (durée d’action longue) et l’articaïne (la plus puissante et la plus longue durée d’action).


III)  Fonctionnement d’une anesthésie locale : cas d’une intervention dentaire 




L’intervention dentaire est probablement le cas le plus commun d’utilisation d’anesthésiques locaux ; tout le monde a un jour ou l’autre du subir une opération dentaire nécessitant une anesthésie.

Dans ce cas l’anesthésiant le plus fréquemment utilisé est la lidocaïne : elle s’applique superficiellement ou par simple injection, n’est pas dangereuse, fait effet quasi-instantanément et sa durée d’action n’est pas trop longue, comme la durée de l’opération.

La lidocaïne, comme tous les autres anesthésiques, existe sous 2 formes : 

  • La forme basique, inactive mais capable de passer la membrane :   

 
 






  • La forme ionique (cation), active mais incapable de passer la membrane :
 






Le pkA de la lidocaïne est de 7,89.

5 minutes avant l’opération dentaire, la lidocaïne est appliquée superficiellement sur la muqueuse ou par simple injection dans la couche superficielle de la muqueuse où va se situer l’opération. La majorité du produit est alors sous forme basique : il est donc capable de passer à travers la membrane phospholipidique car il ne peut se fixer au canal ionique que lorsqu'il est dans la membrane et dans le cytoplasme. Il ne faut que la zone soit infectée car dans ce cas la réaction inflammatoire fait diminuer le pH du milieu pour le rendre très acide, la lidocaïne passe alors sous forme ionique et elle est incapable de traverser la membrane et elle ne peut donc pas fonctionner.
 


Le produit, sous forme basique, traverse la membrane pour se retrouver dans les cellules des fibres nerveuses. A l'intérieur de la cellule: 95% des anesthésiques se dissocient alors, se retrouvant sous forme ionique. Les cations se fixent alors alors au niveau des canaux sodium Na+ . C’est au niveau de la sous-unité α que la lidocaïne fait effet : la sous-unité α est composée de 4 domaines composés chacun de 6 hélices (segments).








L’anesthésique se fixe par liaisons électrostatiques au niveau de récepteurs spécifiques peu connus (certains acides aminés présents à 2 endroits) sur les segments S6. Suivant le type d'anesthésique utilisé, il y a plus ou moins d'affinité entre l'anesthésique et l'acide aminé sur sur le segment 6. Dans le cas de la lidocaïne, cette affinité est assez élevée (64%), signifiant une durée d’action assez longue pour une dose peu importante d’anesthésique (car bien sur si la dose injecté augmente, la durée d'action augmente aussi). Cette durée d'action varie selon un autre critère : étant un agent étranger au corps, l'anesthésiant est dégradé par modifications métaboliques : plus cette dégradation est rapide, moins la durée d'action du produit sera importante. Pour la lidocaïne, cette dégradation est moyennement rapide.
Dans certains cas, pour augmenter la durée d'action, on injecte de l'adrénaline qui réduit la concentration sanguine par vasoconstriction : la lidocaïne n'est pas éliminée, elle reste donc à plus forte concentration plus longtemps au niveau du canal ionique.

La lidocaïne provoque alors une fermeture du pore au centre du canal, empêchant tout passage d’ions Na+ et donc inhibe la création d’un potentiel d’action et d’un message nerveux : aucun signal n'est transmis par le nerf concerné jusqu'au système nerveux central. Le canal est de plus déformé par l’apparition de liaison entre la lidocaïne et la membrane.
Enfin, la lidocaïne dégradé par des réactions métaboliques finit par se détacher intégralement du canal ionique : elle pénètre dans un capillaire au niveau des ganglions nerveux : elle est ensuite acheminée via le système sanguin jusqu'au foie où elle est métabolisée puis éliminée sans difficulté par l'organisme.
 

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